Le Pacte Dutreil rénové
Publié le 26 novembre 2019

Pour un dirigeant d’entreprise, transmettre sa société à ses enfants peut tomber sous le sens. Il ne s’agit pour autant en aucun cas d’un acte anodin. En effet, prudence et anticipation doivent en être les maîtres-mots. À défaut, l’opération peut se révéler contreproductive pour le dirigeant, notamment au niveau patrimonial et fiscal. 

 

Le Pacte Dutreil

 

À ce titre, le « Pacte Dutreil » constitue un outil majeur pour atténuer le coût de la transmission. Ce dispositif, dont l’attractivité a récemment été renforcée par la loi de finances pour 2019, ouvre droit à une exonération des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % de la valeur des titres transmis, sans limitation de montant. Pour profiter de ce régime de faveur, un certain nombre de conditions doivent toutefois être respectées. Explications.

 

Un engagement collectif de conservation doit être souscrit avant la transmission

 

Dans un premier temps, les parts ou actions de la société doivent avoir fait l’objet d’un engagement collectif de conservation pris par le donateur, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec un ou plusieurs autres associés de la société. Depuis la dernière loi de finances, l’engagement « collectif » peut également être pris par une personne seule. En d’autres termes, le dispositif bénéficie aussi aux transmissions de sociétés unipersonnelles (EURL, Sasu…).

 

D’une durée minimale de 2 ans, l’engagement collectif commence à courir à compter de l’enregistrement auprès de l’administration de l’acte le constatant (pour un acte sous seing privé) ou de la date de l’acte (pour un acte authentique). L’engagement devant, en principe, être en cours au jour de la transmission. Point important : en l’absence d’engagement collectif pris avant la transmission, celui-ci peut être « réputé acquis » lorsque le donateur, seul ou avec son conjoint, partenaire de Pacs ou concubin notoire, détient, directement ou indirectement (dans la limite d’un seul niveau d’interposition), depuis au moins 2 ans, le quota de titres requis et que l’un d’eux exerce dans la société depuis plus de 2 ans son activité professionnelle principale (dans le cas d’une société de personnes) ou une fonction de direction éligible (dans le cas d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés).

 

L’engagement collectif doit, en outre, porter sur un certain quota de titres. Quota fixé, pour les engagements souscrits depuis le 1er janvier 2019, à au moins :
– 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote pour une société cotée ;
– ou 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote pour une société non cotée.

 

Un engagement individuel de conservation doit être souscrit après la transmission

 

À compter de la transmission, les donataires doivent poursuivre l’engagement collectif jusqu’à son terme. Et chaque donataire est tenu de prendre l’engagement individuel, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les titres transmis pendant au moins 4 ans à compter de l’expiration de l’engagement collectif ou de la transmission si cet engagement est réputé acquis.

 

L’exercice professionnel

 

Autre condition pour pouvoir bénéficier des effets fiscaux du Pacte Dutreil, l’un des donataires ayant pris l’engagement individuel de conservation, ou l’un des associés ayant souscrit l’engagement collectif, doit exercer dans la société pendant la durée de l’engagement collectif et les 3 ans qui suivent la transmission, selon les cas, son activité professionnelle principale ou une fonction de direction éligible.

 

Des obligations déclaratives doivent être remplies

 

Enfin, le Pacte Dutreil est adossé à un certain nombre de formalités déclaratives, lesquelles ont toutefois été allégées par la loi de finances pour 2019. Ainsi, les donataires doivent joindre à l’acte de donation une attestation de la société certifiant que l’engagement collectif est en cours au jour de la transmission et qu’il a porté jusqu’à cette date sur le quota de titres requis. Puis, dans les 3 mois qui suivent la fin des engagements individuels, ils doivent remettre à l’administration une attestation de la société certifiant que les conditions d’application du pacte ont été respectées jusqu’à leur terme.

 

Précision : les obligations déclaratives annuelles qui incombaient aux donataires et aux sociétés pendant l’engagement collectif et individuel ont été supprimées.

 

Par ailleurs, après la transmission, l’administration peut demander à tout moment aux donataires de lui fournir, dans un délai de 3 mois, une attestation de la société certifiant que les conditions d’application du dispositif ont été respectée de manière continue depuis cette transmission.

 

Les critères d’éligibilité au Pacte Dutreil

 

Pour bénéficier de l’abattement Dutreil, la société dont les titres sont transmis doit exercer, de façon prépondérante, une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, peu important en revanche son régime d’imposition. Ce caractère prépondérant s’apprécie au regard de deux critères cumulatifs :
– le chiffre d’affaires issu de cette activité doit représenter au moins 50 % du chiffre d’affaires total ;
– le montant de l’actif brut immobilisé doit être au moins égal à 50 % du montant total de l’actif.

 

Le « family buy out »

 

Comme nous avons pu le voir, l’exonération du Pacte Dutreil constitue un avantage extrêmement important. Et il peut être utilisé dans un cadre plus sophistiqué, le family buy out. Cette technique d’optimisation, destiné à faciliter la transmission familiale d’officines exploitées en sociétés d’exercice libéral lorsque l’un des donataires est repreneur, s’articule généralement autour de trois axes. Le premier consiste pour le dirigeant à effectuer une donation-partage avec soulte d’une partie de ses titres à ses enfants. Le deuxième permet d’apporter les titres reçus par le repreneur à une société holding créée pour l’occasion. Enfin, la dernière opération réside dans la vente par le dirigeant de la partie restante des titres au profit de la holding.

 

  • 1ère opération : la donation-partage avec soulte de titres

 

Avant même la réalisation de la donation-partage, le dirigeant doit se poser la question du nombre de titres à transmettre. L’officine constituant généralement le principal actif de son patrimoine, transmettre la totalité des titres le priverait du produit d’une vente. Un pécule souvent nécessaire pour maintenir son train de vie durant sa retraite. C’est la raison pour laquelle il devra procéder à la donation d’une partie seulement des titres à ses héritiers.

 

Une fois cet état des lieux effectué, le dirigeant réalise, avec le concours d’un notaire, la donation-partage. Le plus souvent, un seul des enfants est diplômé et souhaite reprendre la pharmacie. Afin d’assurer une véritable équité, les autres héritiers codonataires non pharmaciens qui ne recevront pas ou peu de titres seront « désintéressés » par une somme d’argent – appelée soulte – qui leur sera versée à terme par le repreneur. L’opération garantit ainsi la tranquillité d’esprit du donateur car le partage qu’il décide de réaliser ne pourra pas, en principe, être remis en cause lors de l’ouverture de sa succession. Sans oublier que les biens donnés sont définitivement évalués au jour de la donation et non à celui du décès.

 

Par ailleurs, cette donation-partage bénéficie d’avantages fiscaux non négligeables. D’une part, comme pour toute donation, les droits de donation sont réduits d’un abattement dont le montant est déterminé selon le lien de parenté avec le donateur. Dans notre cas, cet abattement s’élève à 100 000 € par enfant. D’autre part, à ce stade, la donation-partage peut être assortie d’un Pacte Dutreil. Et ce n’est pas tout. Les droits de donation restant dus sur la fraction taxable d’une donation en pleine propriété d’une société bénéficiant du Pacte Dutreil sont réduits de 50 % lorsque le donateur est âgé de moins de 70 ans.

 

Point important à souligner : l’ensemble des donataires bénéficient de l’exonération produite par le Pacte « Dutreil », qu’ils perçoivent une soulte ou reçoivent des titres.

 

  • 2ème opération : la constitution de la holding de reprise

 

Deuxième étape, le repreneur constitue une société holding de reprise sous la forme d’une société de participation financière de professions libérales, qui a pour vocation de détenir des participations dans l’officine afin de la gérer et de la contrôler.

 

À la création, le donataire réalise un apport de ses titres, grevés de la soulte à verser à ses frères et sœurs. Et à ce titre, plusieurs assouplissements ont été apportés par la loi de finances pour 2019 afin que cet apport ne remette pas en cause les effets du Pacte Dutreil. Ainsi, l’apport peut avoir lieu dès la poursuite de l’engagement collectif, et non seulement pendant l’engagement individuel. Et il n’est plus exigé que la holding ait pour objet exclusif la gestion de ses participations dans la société exploitante. Elle peut détenir d’autres actifs tels que des participations dans d’autres sociétés, sous réserve que la valeur réelle de son actif brut soit composée à plus de 50 % de participations dans l’officine. Autre modification apportée par la dernière loi de finances, le capital de la holding est désormais ouvert à des tiers à hauteur de 25 %, à charge pour les donataires et les signataires de l’engagement collectif de détenir les 75 % restants. La direction de la holding devant être assurée par un ou plusieurs de ces donataires ou signataires. Et comme auparavant, la holding doit garder les titres apportés et le donataire les titres reçus en contrepartie de l’apport jusqu’au terme des engagements de conservation.

 

Par ailleurs, il faut souligner que souvent le repreneur ne dispose pas des finances nécessaires pour régler la totalité de la soulte. S’il en conserve la charge, il devra souscrire un emprunt en son nom personnel et faire face aux échéances grâce aux dividendes qui lui seront versés par l’officine. Or, dans ce schéma, les dividendes perçus devront être soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Des charges venant diminuer d’autant sa capacité de remboursement. Une autre solution plus avantageuse consiste donc à faire régler la soulte directement par la société holding. Cette dernière ayant pris soin de souscrire un emprunt. Avec cette formule, il sera possible de déduire du résultat de la holding les intérêts d’emprunt et les dividendes « remontés » de l’officine vers la holding seront soumis à une faible imposition (régime fiscal mère-fille).

 

Enfin, autre avantage : d’un point de vue fiscal, la donation-partage « efface » la plus-value que peuvent receler les titres et l’opération d’apport s’effectuant quasiment dans la continuité, aucune plus-value d’apport n’est donc susceptible d’être dégagée.

 

  • 3ème opération : l’achat de titres par la holding

 

Pour que l’opération soit complète et signe la sortie définitive du fondateur, la société holding de reprise doit acheter les titres restants du donateur. Le prix de vente ainsi versé étant censé permettre au dirigeant d’envisager plus sereinement son arrêt d’activité en se constituant un complément de ressources pour sa retraite. Cependant, la vente des titres conduira certainement à dégager une plus-value. Mais cette cession étant réalisée dans le cadre du départ en retraite du dirigeant d’une PME, la plus-value sera diminuée, sous réserve d’en réunir les conditions, d’un abattement fixe de 500 000 €. Le reliquat sera soumis au prélèvement forfaitaire unique, qui se compose de l’impôt sur le revenu au taux de 12,8 % et des prélèvements sociaux au taux cumulé de 17,2 %, soit une imposition globale de 30 %. Les contribuables ayant la possibilité d’opter pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu s’ils y ont intérêt. Dans ce cas, un abattement pour durée de détention peut s’appliquer aux titres acquis avant 2018 et détenus depuis au moins 2 ans.

 

En définitive, vous le voyez, le Pacte Dutreil peut être utilisé dans différents cadres et il permet de réaliser des opérations de transmission d’entreprise dans les meilleures conditions possibles. Mais il doit être manié avec précaution tant il suppose de respecter scrupuleusement de nombreuses conditions. En conséquence, si vous êtes intéressé, parlez-en à votre notaire. Il saura prendre en charge la gestion du Pacte Dutreil et des montages de transmission, qu’il s’agisse d’une donation, d’une donation-partage ou d’un montage plus complexe comme un family buy out.

 

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